Gabriel Weis

 

                Le personnage principal de l’énigme était Omar Khayyam (1048-1131), mathématicien, astronome et poète perse du XIème siècle.

                Omar Khayyam naît à Nichapur, en Perse, une ville qui avait été un grand centre du Zoroastrisme avant l’arrivée de l’Islam (« Autrefois parlait Zarathoustra »). Ses parents étaient probablement artisans, « Khayyam » semblant vouloir dire « faiseur de tente ». Le jeune Omar est vite repéré pour ses capacités intellectuelles et confié à l’Imam Muwaffaq Nishaburi, l’un des enseignants les plus prestigieux de la région.

                En 1073, il entre au service du Sultan seldjoukide Malik-Shah I en tant que conseiller. En 1076, il est invité à Ispahan (« Un parfum ? Dior ») par le Vizir Nizam el-Molk (dont le nom veut dire « ordre du Royaume »). Ce grand administrateur veut faire d’Ispahan un centre intellectuel de premier plan. Khayyam est déjà célèbre pour ses travaux mathématiques qu’il pourra continuer en paix. Il travaille notamment sur les équations du troisième degré (« Si j’étais un chiffre, je serais le trois : c’est le nombre des degrés ») auxquelles il apporte une solution graphique sous la forme d’intersections de coniques (paraboles, cercles, hyperboles), sur la démonstration du 5ème postulat d’Euclide, sur les fractions et les nombres irrationnels (« les nombres sont irrationnels »), sur le calcul des racines nièmes et le théorème binomial. Le fameux Triangle de Pascal est d’ailleurs aussi connu sous le nom de Triangle de Khayyam (« Une forme ? le triangle »).

                Les travaux de Khayyam ne se limitent pas aux mathématiques. Il étudie aussi le principe d’Archimède et décrit une méthode, basée sur ce principe, pour définir la proportion d’or et d’argent dans un échantillon composite (« Un métal ? L’or ou l’argent. Ou les deux en juste proportion »). Il est aussi l’un des premiers à faire la connexion entre musique et arithmétique (« la musique est logique ») et travaille sur le tétrachorde (« Moi, j’écoute la perfection de la quarte »).

                Mais si Nizam el-Molk le fait venir à Ispahan, c’est d’abord pour résoudre un problème de calendrier. Le calendrier islamique est basé sur les cycles lunaires et comprend 354 jours par an. Il se décale donc progressivement. Pas idéal quand on veut, par exemple, lever des taxes sur les récoltes à date fixe ! Omar Khayyam, entouré d’autres astronomes, fait construire un grand observatoire à Ispahan. Il mesure avec exactitude la longueur d’une année et définit un nouveau calendrier qui sera nommé calendrier Jalali, Jalal étant le prénom du Sultan Malik-Shah I (« Le temps passe au rythme des étoiles »). Ce calendrier est basé sur 12 mois de 30 jours avec insertion de 5 à 6 jours supplémentaires sur un cycle de 33 ans. Toujours en usage en Iran, il est plus précis que le calendrier Grégorien qui ne sera défini en Occident qu’en 1582 : alors que notre calendrier Grégorien, qui intercale une année bissextile tous les 4 ans, fait une erreur d’un jour tous les 3300 ans, le calendrier Jalali fait une erreur d’un jour tous les 5000 ans !

                Au-delà de tous ces travaux scientifiques, Omar Khayyam sera surtout connu pour son œuvre littéraire. Il écrit des quatrains (« Rubayyat ») qui seront redécouverts au XIXème siècle par l’orientaliste anglais Edward Fitzgerald qui en assure une traduction libre en rimes anglaises en 1859 (« c’est par quatre que les vers s’énoncent »). L’originalité de ces quatrains – dont tous ne sont probablement pas d’Omar Khayyam – est d’être d’une grande ambivalence. Leur lecture littérale montre un auteur pessimiste, voire nihiliste (« tout est vanité » ; « Je contemple, désabusé, la folie des hommes ») et fataliste (« le doigt de Dieu bouge et écrit. Ce qui est fait ne peut être défait. »), faisant preuve de scepticisme à l’égard des valeurs religieuses, vantant les vertus du vin (« Autant s’en remettre à l’ivresse ! ») et la beauté des femmes… Les auteurs occidentaux ont vite fait de voir en lui un hédoniste athée, mais la réalité est peut-être plus complexe. D’autres pensent en effet qu’il s’agit là d’un symbolisme ésotérique dans la lignée du Soufisme qui en appelle, de façon codée, à l’ivresse de Dieu. La querelle universitaire est loin d’être tranchée. Peut-être Khayyam ne nous fournit-il, après tout, que ses espoirs, ses doutes et ses découragements, sans méthode et sans volonté militante de convaincre… Quoiqu’il en soit, l’œuvre de Khayyam aura une grande influence sur les Lettres occidentales, de Jack London à Marguerite Yourcenar.

                En 1092, Nizam el-Molk est assassiné, peut-être par la Secte des Assassins, un ordre politico-religieux qui combat les seldjoukides (« Malgré les assassins et leur secte »), peut-être aussi, plus prosaïquement, à l’instigation de la seconde femme du Sultan qui voulait que son fils soit le successeur attitré au trône, contre l’avis du Vizir… Le Sultan est lui aussi assassiné un mois plus tard. Privé de ses protecteurs, Omar Khayyam quitte Ispahan, fait un pèlerinage à la Mecque. On retrouve sa trace à la cour du nouveau Sultan Sanjar à Merv, alors capitale des Seldjoukides. Autorisé à retourner à Nishapur, sa ville natale, il y meurt en 1131.

                Mais l’histoire ne s’arrête pas là…. Sous l’effet de la mode Orientaliste du XIXème siècle, les Rubayyat d’Omar Khayyam, et notamment leur traduction anglaise d’Edward Fitzergerald, ont un énorme succès en Occident. En 1911, l’éditeur Sangorski & Sutcliffe réalise une édition de luxe de cette traduction. Il s’agit d’un ouvrage fait à la main, richement décoré de 1050 pierres précieuses. L’ouvrage est mis aux enchères chez Sotheby’s le 29 mars 1912. Contre toute attente, il est vendu pour seulement 405 livres sterling (« Quand un livre en vaut quatre cent cinq, qu’on le recouvre de joyaux »). Les conditions économiques difficiles de la Grande Bretagne qui sort juste d’une grève des mineurs, explique peut-être ce prix bas. L’acheteur, qui vient de réaliser une excellente affaire, est un américain de New York, Gabriel Weis. Il se fait expédier l’ouvrage par bateau.

                Or, un paquebot est sur le point de faire sa première traversée vers New York : le Titanic, tout droit sorti des chantiers navals de Belfast. L’un des joyaux culturels de l’Orient et le joyau technologique de l’Occident vont tout deux subir le sort que l’on connaît (« … qu’on le confie à l’orgueilleux navire qui vogue vers l’occident, on ne peut que le perdre »)

 

                La réponse à l’énigme était donc le nom du propriétaire du livre : Gabriel Weis

 

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